Mémé Santilli  
 
"Tout est meilleur quand on partage"
 

La mamma de la Casa

Près de la Saône, à Lyon, rue Sala,
vit la mamma de la Casa
qui a quatorze enfants sur les bras,
sans compter ceux qui sont partis
qui reviennent en pleine nuit,
frileux, chercher chez elle abri
contre de ces intempéries
que ne pare aucun parapluie,
mais dont un coeur qui sait aimer
peut les aider à triompher.

La mort lui a pris son mari.
La vie ses cinq enfants de lui.
Elle avait commencé avant
à accueillir d'autres enfants
qu'on disait "en difficulté",
venant de familles souvent
trop blessées pour les élever.
Depuis, sa demeure en est pleine.
Solide sur sa soixantaine
et son petit monde, elle mène
le tout, gaillarde, à l'italienne.
L'amour de Dieu, si elle y croit,
dans ses mains les autres le voient.
Va le lui dire, elle répond :
"je crois en la Résurrection".

Qu'on soit nana fière ou beau mec,
chez la mamma de la Casa,
on peut se faire engueuler sec.
On sait que son pain ne l'est pas :
dans la tendresse il est trempé.
T'as toujours ton boire et manger,
ton appétit bien réveillé.
T'as tes pinceaux à remuer,
tes copains pour te taquiner.
Mais pour peu que mémé s'amène
partout règne la paix romaine.

Chaque soir ou fin de semaine
tu vois s'envahir le domaine.
Et la mémé aux blanches mèches
se met en quatre Blanches-Neiges
pour résoudre tous les problèmes
psychologiques ou mathém-
atiques de quatorze nains,
ou 15, ou qui saurait combien
avec le retour des anciens,
le pote au pote et son voisin.

 

 

 

 

 

Chacun à son tour de vaisselle
déploie ses savoir-faire et zèle.
Quand on est quatre pour ranger
faut être huit pour retrouver.
Quand on pèle à 5 les patates,
deux calment les 3 qui se battent,
jusqu'à ce qu'enfin le plat prêt
fasse entre ventres pleins la paix.
Mais pour digérer ces tracas
faut l'estomac de la mamma.

L'on tricote en 36 couleurs.
Les murs s'égaient de ciel, de fleurs.
Un château s'élève en légo ;
sous tes pieds roulent des autos ;
vingt minois rient de ton bonheur ;
vingt mouchoirs pour sécher ton pleur.
Ta tête se saoule au parfum
des aventures de chacun.
Pourtant chacun se sait, malgré
tout, écouté par la mémé.

Compter tant de soeurs et de frères,
ça t'attire un tas de cousins.
C'est chaque jour anniversaire
ou fête ou ça n'en est pas loin.
"T'as vu, moi, mon joli cadeau"...
"Toi, débrouille-toi pour qu'il parte
que je fasse en secret sa tarte".
Mémé nage dans les complots.
Elle sait tout, fait cas de rien.
Reine est est, rênes elle tient.

S'il arrive étant si nombreux
qu'on ait le même prénom pour deux,
on dit "le petit" et le "grand".
Mais là le petit vaut le grand :
les petits font entrer le Ciel
sur la terre où tinte Noël.
Pour que des Casas le rappellent
à nos caboches sans cervelles...
Pour les familles délabrées
où se meurt le feu du foyer...
Pour les jeunes désemparés
cherchant la prise où s'accrocher...
Toi qui de rien peut tout créer
remets toi à ton atelier,
reprends ton métier de potier.
Mon Dieu, pétris-nous des mémés.

 

Les poèmes du coursier II, de Guy Dubreuil

 

 

Illustration originale de André Mordant
Illustration originale de André Mordant